[Roman] Sempiternels Songes - Fuite de Bière

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10 - Ultime. Marquera à jamais l'Histoire de la Fantasy.
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8 - Très bon. Se doit d'être lu.
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6 - Honnête. Manque un petit quelque chose.
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5 - Moyen. Ne laissera pas un souvenir impérissable.
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4 - Faible. Les idées sont là, mais c'est tout.
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3 - Mauvais. Pas de plaisir à lire.
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2 - Navet. A éviter.
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1 - Honteux. Foutage de gueule.
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krokenstein
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Genre de livres que vous lisez le plus souvent ? : Fantasy, Fantastique et SF

[Roman] Sempiternels Songes - Fuite de Bière

Messagepar krokenstein » 04 Juil 2012, 14:37

Bonjour à tous et à toutes,

Bien que je me sois inscrit (et présenté) sur le forum depuis plus d'un an, il s'avère que suite à quelques déboires en tous genres, je propose à la lecture mon récit seulement aujourd'hui. Vos avis, remarques et critiques sont évidemment les bienvenus. J'ai pris un peu d'avance. Ce qui fait que quand j'aurai fini de rédiger le chapitre en cours (attention, moins de 150 jours), j'ajouterai le chapitre 1.

Les amateurs et amatrices de jeux vidéo auront remarqué que j'ai plagié sans vergogne la grille de notation gamekult. Simplement parce que c'est la meilleure notation que je connaisse. Elle est très exigeante, veuillez donc poster votre note avec discernement. Car bien que je vous ai laissé la possibilité de noter 10, soyons honnêtes, il est fort peu probable que mon écrit devienne un classique au même titre que le Seigneur des Anneaux ou le Trône de Fer. Vous avez le droit de changer d'avis au fur et à mesure de votre lecture.


Je vous souhaite une bonne lecture.
Krokenstein

Articles tirés du Guide Officiel des Astuces Officieuses

LA RINCEE CAPITALE :
Localisée dans les faubourgs de Palacia, ce bar-restaurant dispose d’un passé historique pour le moins chargé. Il y a encore quelques décennies, il avait été tour à tour un repaire de brigands, une maison de passe puis un café philo. Depuis, il accueille une population relativement hétéroclite.
Disposant de chambres aux étages supérieurs et d’une salle de concert au sous-sol, il ouvre toujours la porte grande ouverte aux voyageurs fourbus, sans jamais mentionner les concerts. Chaque matin, nombreux sont les clients à se plaindre auprès du patron, même les sourds-muets, dérangés dans leur sommeil par les vibrations.
Comme tout bâtiment moderne digne de ce nom, il est relié au réseau de bière courante.


LANCIER :
Le porteur de lance, appelé plus communément lancier, est le principal élément de l'armée de Bordellye. Son arme de prédilection, une pointe de fer emmanchée dans une hampe en bois dur, le transforme en un redoutable combattant quand ses intérêts sont en jeu : les jeux d'argent, les lupanars et l'alcool.
On conte aux jeunes générations comment, durant la grande guerre de l’an Mil, une petite troupe de trois cents hommes reconquit brillamment une distillerie prise d'assaut par un détachement des armées de l’Empire de Bãzãr-Souk, nettement supérieur en nombre et en armement. Certains historiens pensent à tort que ces héros se battirent pour la liberté, la justice ou encore la gloire. Il n'en fut rien, ce fut pour l'alcool.


HEAVY METAL :
Écouté principalement par une jeunesse citadine en mal de sensations fortes, le metal ressemble pour les non-initiés à un vague brouhaha mêlant cris de guerres et frappes sur des batteries de casseroles. Cela fait tout son charme, en passant.
On attribue son invention à Messe Noire, une formation de troubadours lassés de la traditionnelle chanson de geste, aux alentours du XIIIe siècle. Leurs tenues sombres et leurs propos hérétiques ne manquèrent pas de leur attirer les foudres de l’Église. Ironie du sort, celle-ci tenta de les accuser de sacrifices humains, ce qui contribua autant à leur promotion qu’à leur essor.
Depuis, le genre s’est développé et diversifié. Une presse spécialisée se charge de relayer les dates et lieux de concert, les talents naissants ainsi que diverses anecdotes. Parmi les styles apparus, il y eut le suicidal-bloody-angels-of-undeath-metal. À la scission du groupe éponyme, le style erra seul dans les couloirs de l’oubli à la recherche d’un groupe à réincarner.


Prologue – Mort en héros

Alfred « Mille Litrons » n'était pas venu pour participer.
Il était venu pour gagner.

Parce qu’on ne cesse jamais d’avoir été premier, il était considéré comme un véritable caïd. Craint et respecté à la fois, il avait tenu tête aux plus grands et s'était fait une place parmi eux : Denise « l'Eponge des Mers du Sud », Roger « la Picole Infernale », Hakim « la Hyène Assoiffée des Steppes ». Tout initié connaissait le danger d’être assis à sa table, sauf le jeune freluquet en face de lui, apparemment.

La phase éliminatoire du tournoi avait commencé dans la matinée au cidre, afin de laisser une chance aux plus jeunes. Les premières manches s'étaient jouées à la bière. Et l'un des face-à-face avait duré si longtemps que l'air embaumait encore l'orge. Passé midi, les candidats des seizièmes puis huitièmes de finales s'étaient respectivement affrontés sur une variété de vin blanc très sec à l'acidité redoutable puis sur un vin rouge à la robe plus soyeuse, à l'aspect plus sirupeux mais d'autant plus traître. Il n'y eut aucun incident à déplorer, hormis Omar L'Écaille, un ecclésiaste assez bavard, qui quitta les lieux en conversant avec le Pêcheur.

La phase intermédiaire terminée, les poivrots de première catégorie éliminèrent les derniers soûlards du dimanche avec quelques verres de rhum bien placés. Trop confiants, la douceur du breuvage eut raison des inexpérimentés... et de Roger. Lors des semi-finales, Alfred battit à l'usure « la Hyène » et contre toute attente, Denise s'inclina respectueusement face à la descente impressionnante d'un dénommé Josh, l'outsider de cette année. Le poids de l'âge, sans doute…

Josh « Cul Sec ! » VS. Alfred « Mille Litrons » : Le choc des générations ! Quelques peintres s’empressaient d’immortaliser la scène et un journaliste de Ragots Royaux griffonnait déjà sur son petit carnet ce titre racoleur. Quant à la troupe de badauds encerclant la table, elle était bouche bée face aux exploits des athlètes. Certains allant jusqu’à parier de fortes sommes sur un supposé vainqueur. La règle était des plus simples : boire jusqu’à s’écrouler de sa chaise. Mais derrière cette apparente simplicité se cachait beaucoup de technique et de psychologie.

Plein de verve, Josh était de la nouvelle garde, de ceux qui misaient plus sur le mental. Vidant ses verres plus vite qu’on ne les lui remplissait, il avait poussé ainsi à l’abandon tous ceux qui s’étaient frottés à lui. Alfred était un buveur opiniâtre. Qu’il neige, qu’il pleuve ou bien qu’il vente, son entraînement était pénible et quotidien. Enchaînant chopes de bière et verres de vin à longueur de journée, aucune de ses années d’expérience au comptoir n’était de trop pour affronter la fougue de son adversaire. La vitesse contre l’endurance. L’audace contre le conservatisme. Le lièvre contre la tortue.

A chaque verre supplémentaire, les épais murs de pierres meulières d' « A la Rincée Capitale » tournaient un peu plus vite. S'accrochant désespérément à la table de bois parce que sa chaise de bois lui jouait des tours, l'ancien champion se réveillerait sans doute avec une monumentale gueule de bois. Voyant l'ennemi vaciller, le challenger saisit son verre, le but et l’envoya voler négligemment derrière lui. Et d'un air de défi, il hocha doucement la tête. Un spectateur eut juste le temps de s’écarter et dans sa chute, le cri du verre brisa les conversations.

Croyant se fixer les yeux dans les yeux, les deux athlètes peinaient à distinguer les copies floues de leur adversaire. L'affaire avait pris une tournure personnelle. D'un côté comme de l'autre, ils se jaugeaient, ils se testaient. Je vais lui montrer à ce freluquet de quel alcool je me chauffe !

Interrompant ce jeu de regard, le serveur chargé du tournoi remplit le verre d'Alfred. Non, ce n'était pas le serveur. C'était le taulier. Ils se connaissaient très bien tous les deux. Il s'appelait... Il s'appelait... Bah non, il ne s'appelait plus. Avachi sur la table, il parvint à articuler « Patron, un deuxième... pour lui montrer... ce qu'est un vrai... un vrai guerrier ». S’exécutant professionnellement, l'organisateur tendait suffisamment les bras pour se tenir éloigné des vapeurs toxiques. A ce niveau du tournoi, les haleines rances et vinaigrées pouvaient tuer sur le coup.

« Mille Litrons » se redressa, s’appuyant sur la table et souffla un grand coup. Sur sa peau devenue couleur brique, quelques gouttelettes sirupeuses coulaient de ses pores. Au niveau de la tempe, le sang cognait de plus en plus fort la paroi de la jugulaire. Dans un ultime effort de concentration, il chopa de chaque main les deux verres et les porta à sa bouche dans un mouvement aussi symétrique qu’un crabe violoniste. Et tout bourré qu’il était, pas une goutte ne se jeta ailleurs que...

- Comme dit le dicton... Donc le dicton dit : c'est jamais à côté... c'est toujours dans... euh... dans le gosier !
 - Et tant va la cruche à l'eau... Qu'à la fin, elle perd sa chasse ! Répliqua son jeune rival.

Les deux verres asséchés, il les cogna si fort que la table trembla au point de se recroqueviller de douleur. Pendant qu'il fixait son rival d'un air vaseux, le son du choc résonnait encore dans la pièce. Sa langue tuméfiée ne ressentait plus les brûlures de l’alcool, quant aux vapeurs éthyliques, elles étaient devenues une norme.

- Je te... Je fais une relance... C'est deux verres ! Osa Josh, devenu l'objet de tous les regards.
 - Excès de confiance... est mère de... euh... mal étreint !

Le barman déposa les quatre verres sur la table. Comme à son habitude, il vida d'un trait le premier verre. Le fumier, il voudrait que j'abandonne ! Mais qu'est-ce qui lui prend ? Soudain, il fut pris d'un haut-le-cœur. Il porta les mains à son cou, cherchant sa respiration. Quand sa chaise se déséquilibra, il eut beau battre des bras, celle-ci se renversa, faisant rouler le jeune homme aux pieds du public. Puis, à quatre pattes sur le parquet de chêne, il rendit le contenu de son dernier verre et de quelques autres... Epuisé par l'effort, il s'écroula dans la flaque translucide. C'est le comble ça, un débutant éliminé par une erreur de débutant... Quelques membres bien attentionnés le ramassèrent, le rassirent puis le ranimèrent. Mais la règle était la règle : Alfred était de nouveau vainqueur !

Digne représentant de l’armée, deux bouteilles vides gisaient à ses pieds, ou plus exactement à une lourde paire de bottes en peau. Vêtu d’un pantalon foncé ainsi que d’un pull beige, l’un des spectateur lui retira son poncho bleu puis l’agita fièrement tel un drapeau. « SECURITE » en larges lettres amicales flottait dans les airs.

Sa lance, se tenant courbée contre le mur, se reposait après avoir passé la journée à soutenir son titubant propriétaire. Une pointe de métal emmanchée dans une hampe de bois formait l'arme la plus répandue des troupes de Bordellye. Appartenant à la Garde du Palais Royal, Alfred était un soldat d'exception parmi une troupe d'élite et nombreux étaient ses collègues à être venus l’encourager.

La mine déconfite, le corps vautré sur la chaise, un autre supporter souleva son bras autant pour désigner le héros que pour résumer à ce dernier la situation. Le peintre changea rapidement de toile pour esquisser la scène. Victoire était sienne !
Reprenant prestement ses fonctions derrière le comptoir, le taulier rangea un torchon à sa place. Devant lui, tous en joie, les plus ardents admirateurs d'Alfred accompagnèrent ce dernier jusqu'au zinc. « C'est ma tournée ! »

Portant son habituel gilet de cuir noir et une chemisette blanche, laissant dépasser des bras aussi musclés et velus que ceux d'un gorille, le barman attrapa quelques chopes en douceur, les rinça puis les remplit rapidement sous le flot de bière. Une fois servies, les boissons furent vidées d'un trait. Alfred en redemanda une deuxième : après tous les alcools qu'il avait ingurgité, il fallait bien qu'il se désaltère...

Mais cette fois-ci, le champion y était allé un peu fort ! Chacune des lattes du parquet roulait sous ses pieds. Malgré les coudes reposant sur le métal poli du bar, la bande d'ivrognes tanguait au point de bousculer les hauts-tabourets. Ces derniers, impassibles, ne répondirent pas à la provocation. Parsemés dans la grande pièce et soutenant le bâtiment de toutes leurs forces, les larges piliers de bois sombre pliaient sous le poids des verres en trop. Quant aux cloisons délimitant le coin bar du restaurant, elles se distordaient sous l'action de la binouze. Enfermées comme des danseuses en cage, les petites flammes scintillantes entraînaient dans leur danse les ombres de la pièce. Faisant balancer leurs lanternes de fer noir, elles prenaient le risque d’incendier le bâtiment à tout moment. Quelles inconscientes !

Au comptoir, avec ses nouveaux amis, « Mille Litrons » était au paradis... Mais en dessous, c'était l'enfer. Tous ces jeunes, tous ces cris qui perçaient le sol ! Et leur musique assourdissante, quel boucan ! Pourquoi le patron des lieux permettait un tel laisser-aller? Comment ces sauvageons nommaient leurs ritournelles infernales, déjà? Taule dure? Acier alourdi? Quelque chose comme ça...

Leurs assemblages de tambours, sortis tout droits des enfers, faisaient trembler le sol à chaque instant... Les accords agressifs de leurs luths, traversaient sans difficulté le plancher et troublaient ses pauvres oreilles... Leurs chants sombres et malsains, vociférés par la démoniaque ménestrelle et repris en chœur par ses ouailles, faisaient croire aux profanes qu'une messe noire se déroulait dans le sous-sol. Saleté de jeunesse et putain de mode à la con !

Elle va fermer son clapet, la pouffiasse?


***

 - Vous en voulez encore?
 - OUAIS !! Hurla la foule en direction de son idole
 - Plus fort, j'entends rien ! Provocante, elle mima n’avoir rien entendu. Vous en voulez encore?
 - OUAIS, ENCORE !! Plus nombreux à répondre, ses fans levaient les poings et formaient les cornes.

Ce soir, elle allait mettre le feu ! Debout sur l’estrade, elle se rallia à son public par le même geste. Sa main ferme approcha le mégaphone de ses lèvres. Sa face était peinte en blanc, des traits noirs recouvraient ses yeux et sa bouche. Quelques coulées rouges descendaient du haut de son front jusqu’au bas de son cou. Ses longs cheveux noirs glissaient jusqu’au bas de ses reins. Un corset rouge sang, légèrement fendu dévoilait une part de ses attributs à ce public presque exclusivement composé de mâles en sueur et longue jupe noire masquait ses jambes. Bien à l’abri, ses pieds étaient protégés par de lourds assemblages de cuir et d’acier.

« UN, DEUX, TROIS, QUATRE ! »

D’une voix rauque et puissante, sortie de ses entrailles, la diva vociféra des couplets vantant les bienfaits des bains dans le sang, extrait de victimes préalablement décapitées. Quand sa voix laissait la place aux instruments, ses mains s’élevaient jusqu’au plafond et donnaient le rythme à la mer de fans agités. Sautant en cadence, seules leurs ovations couvraient le grondement sourd de leurs bonds. Le flux et le reflux des bras s’échouaient jusqu’au bord de l’estrade. Seuls deux braseros, symétriquement disposés sur l’estrade, éclaircissaient les ténèbres.

A ses côtés, deux joueurs de luths, l'un doté de six cordes et l'autre de quatre, torturaient leurs instruments au point de leur faire gémir des séries d'accords insoupçonnés. Sur chaque instrument était vissé un savant assemblage de cristaux. Ce dernier, tout près des cordes, permettait aux luthistes de rivaliser en puissance avec la batterie. En contre-partie, les notes avaient souffert d'une telle distorsion qu'elles s'alourdirent d'une octave en traversant la pièce. Telles des ventilateurs, les longues chevelures des musiciens brassaient l'air au même tempo. Derrière elle, les bras musclés du batteur, un énorme gaillard ventru, martelait la salle depuis ses tambours et cymbales. Seule sa grosse tête chauve, collée sur un cou de taureau, était visible. Sûr de ses coups, il remuait lourdement sa caboche, d'un air martial.

« Du Sang de Vierge,
Du Sang de Vierge,
Du Sang de Vierge,
EFFAROUCHEE !! »

La chanson suivante traita de traversées épiques en drakkar entraînant des pillages de villages côtiers. Celle qui lui succéda narra les joies des meurtres de veuves et des viols d'orphelins (et vice-versa). Et les autres abordèrent diverses trivialités.

Malgré les propos, l'ambiance restait bon enfant. Même si les flaques de bières renversées et les fortes odeurs liées aux hormones mâles n'avaient rien à voir avec les habituelles cours de récré ; le public n’était composé que de grands gamins un peu agités, sautant en l'air et se bousculant les uns contre les autres. Certains étaient vêtus de gilets en cuir sur lesquels étaient cousus divers logos à base d'instruments et d’ossements. D'autres étaient torses nus et ruisselaient de sueur. Les fans les plus fidèles étaient même venus habillés de vêtements à l’effigie du groupe. Et les poings levés, ils clamaient « DEAD ! DEAD ! » à répétition.

Après tout, la foule n’était rien de plus qu’une bande de charmants bambins, un peu fantasque, à moitié ivre et ne réclamait rien d’autre que quelques comptines morbides à sa cantatrice.

« Ânes bâtés, incapables de penser par eux-mêmes,
Pauvres bâtards, se croyant être de la crème,
Jamais vainqueurs, car jamais ils n'ont osé,
Jamais vaincus, car toujours ils ont abandonné !

Debout, nous marcherons !
Sur eux, nous règnerons !
LEUR SANG, NOUS RECLAMONS ! »

Avec les revenus de sa boutique et sa passion pour le chant grunt, Gothika Ben Heffis avait su réunir autour d'elle les plus grands. A sa droite, Pierre Tasd'graines, sa barbe tressée et son luth à six cordes. Avant d'intégrer la formation, il était célèbre pour jouer dans un groupe dont il était le seul luthiste, batteur et chanteur. A sa gauche, John Mayonnaise, dans une combinaison de cuir moulante et son luth à quatre cordes. Bagarreur, il ne cessait de revendiquer la suprématie de sa musique à grands coups de poings. Et derrière elle, l'énorme Xynious ne déparait en rien l'assemblée : il avait brûlé sa première église à cinq ans.

« Vivant leurs vie, comme s'ils étaient morts,
Laissez-moi me repaître du sang des faibles !
Courant sans cesse après les honneurs et l'or,
Donnez-moi de quoi enflammer la plèbe !

Debout, nous marcherons !
Sur eux, nous règnerons !
LEUR SANG, NOUS RECLAMONS ! »

« Damnation Éternelle Affreusement Douloureuse », était le nom véritable de cette troupe à la réputation sulfureuse. Quand ils achevèrent le morceau sous les applaudissements et cris du public, Gothika remarqua qu'au milieu de la fosse, une fine silhouette capuchonnée créait un grand vide autour d'elle. Bousculant nerveusement et sans mal les plus hommes les plus costauds, dépassant de ses bonds les cimes chevelues du public, il était étrange qu'aucun des mastodontes présents ne cherche à remettre cette boule de nerfs à sa place. Quand elle croisa son regard, elle crut reconnaître des traits familiers. Pas de ceux qu'on voit tous les matins au petit-déjeuner, sauf quand on prend la peine de lire les journaux.

***

« DEAD ! DEAD ! DEAD ! » Hurla-t-elle, les mains en porte-voix.

S’imaginant sur un champ de bataille, au milieu de cette horde de chevelus, Gladys était dans son élément. En fermant les yeux, elle les imagina tous frères d’armes, vêtus de peaux de bêtes, frappant en rythme leurs épées sur leurs boucliers, braillant des chants guerriers et partant à l’assaut de l’ennemi. Rien à voir avec les armées d’aujourd’hui ! Des paquets de lanciers, qui se rangeaient sagement bien à l’abri derrière l’allonge de leurs armes ou pire, qui prétextaient un grade quelconque pour ne pas aller au combat.

Certaines nuits de concert, il lui arrivait de ne pas revenir au Palais. Elle se réservait une petite chambre, histoire de garder auprès d’elle un ou deux des plus beaux spécimens. C’était selon son caprice. Un soir, c’était le plus tatoué ; un autre, c’était le plus barbu. Ce qu’elle appréciait avec les barbes très épaisses, c’est qu’on pouvait faire des tresses avec quand le mâle en question n’était pas encore remis des ébats de la veille. On a beau hurler les paroles, bousculer les autres et secouer sa tête, on n’en reste pas moins femme.

Bondissant sans cesse, sans doute pour que son idole la remarque, elle en avait presque oublié qui elle était et d’où elle venait. Plateaux de petits fours servis par des laquais aux sourires sordides, ambiance feutrée avec orchestre de violons gémissant de la musique douce, échanges de propos absurdes codifiés par l’étiquette, elle s’était éclipsée des mondanités propres à la salle de bal. Sans compter les avances de cette blondasse insipide de Raphaël Harfang, sur lequel elle a balancé son verre. De simple éleveur de moutons, il était devenu le disciple du Premier Conseiller de sa mère. Arrogant carriériste !

Même si sa face avait pu se soustraire au récipient ; sa réputation, comme ses vêtements, resteraient considérablement entachés. Dès demain, son râteau alimenterait divers journaux à sensations. Rien que pour ça, elle irait faire un tour au kiosque. Oh puis non ! Elle se le ferait livrer au pied de sa porte. Et ce, dès l'aube, avant son entraînement quotidien ! Après tout, elle n’était pas princesse et future héritière pour rien !

***

Tandis que leurs chants impies se cognaient contre le plancher, la bande au comptoir s'exaspérait de ne pouvoir boire tranquille. Invitant d'autres complices à la conversation, ils échangèrent leurs différents points de vue sur...

 - Ouais, enfin de mon temps... C'était pas la même époque... Et c'était pas les mêmes jeunes !
 - Et puis à mon époque... C'était nous, les jeunes. Alors, forcément... Bah, y a plus de jeunesse !
 - Parce qu'avant, c'était pas comme ça... Avant, si je me souviens bien... C'était avant !
 - Alors qu'aujourd'hui, c'est une... Enfin, c'est honteux ! Y avait le travail aux champs pour les mater, ces putains de jeunes !
 - Mais qu'est-ce tu racontes? La dernière fois, tu m'as dit... Enfin voilà, quoi !

Tranquillement la chope aux lèvres, Alfred en savourait le contenu. La douce amertume du breuvage, qu'il aimait parfois marier avec quelques cacahuètes, le réhydratait petit à petit. Quand soudain, un solo de batterie remua le sol. Trébuchant, l'un de ses compagnons renversa sur le champion sa boisson.

- Bah mon saligaud ! Mais qu'est-ce qui t'a... Enfin, en voilà des manières !
 - Je tiens plus debout... C'est le plancher... C'est encore ces putains de jeunes qui le font bouger.
 - Comme d'habitude, tu bois trop... Car faut arrêter la picole, moi je dis !

Au fur et à mesure de la discussion, il devenait de plus en plus évident que la principale responsable de la brève perte d'équilibre de Roger n'était ni les effets d'un excès d'alcool, ni le fait qu'il soit boiteux mais, évidemment, leur musique infâme, qui sans cesse remuait le bâtiment. Il fallait agir, car si aujourd'hui ils occupaient le sous-sol ; demain, qui sait, ils envahiraient les lieux jusqu'au grenier. Moi, je dis… Tous ces jeunes ont besoin d'une bonne leçon !

S'arrachant péniblement du comptoir, ils enjoignirent quelques poivrots silencieux à rejoindre leurs rangs. « Ah non, messieurs ! Vous n’allez pas me les exciter ! » Malgré les vaines protestations du barman, la troupe s’agrandit un peu. La molle tentative des serveurs pour leur barrer le passage céda face à la charge titubante. « Les civils… C’est la guerre ! Alors, la ferme ! ». Désemparés, certains songèrent à appeler la garde quand d’autres leur rappelèrent que les trois-quarts des effectifs étaient ici présents. « Rangez tout ce qui est fragile et sortez du bâtiment ! Je ne veux pas de blessés, cette année… » Habitué à l’injonction, le personnel de service obéit dans le calme et fit sortir la plupart des clients de leur plein gré… laissant l’usage de la force aux militaires déjà sur place.

Malgré le plancher roulant sous leurs pas, ils parvinrent jusqu’à la salle du restaurant. Le moment le plus épique fut la traversée de la porte, où tous s’y reprirent trois à quatre fois, se tenant parfois à l’encadrement, tant celle-ci glissait sur le sol. L’obstacle traversé, le leader s’appuya sur une table. Puis, d’un doigt tremblant, il en désigna une autre : assis à celle-ci, un couple de personnes âgées savouraient leurs desserts. Sans un mot, les plus musclés des soldats les attrapèrent par le col et les jetèrent dehors. Quand, les fesses sur les pavés, ils se plaignirent de ne pas avoir terminé, l’un d’entre eux, dans un élan de serviabilité, leur jeta leurs assiettes et couverts. Éclatant en morceaux, les bruits d’assiettes brisées étouffèrent les protestations pendant que les desserts répandaient leurs sauces sucrées au sol.

Une fois les civils évacués, quelques hommes hissèrent Alfred sur la table. Afin qu’il ne tombe pas, l’un d’entre eux lui fit parvenir sa lance. Se tenant fermement à celle-ci puis chancelant « Mille Litrons », pointa du doigt son assemblée. Puis, dans un éclair de lucidité, il s’exprima : « Au sous-sol, depuis longtemps… ça fait quelques années. Des démoniaques troubadours jouent des musiques impies ! Des musiques impies, qui font trembler les murs et qui renversent nos boissons. Ils ont commis l’irrépar… donnable ! Ils corrompent l’esprit de camaraderie propre à notre repaire, A la Rincée Capitale. » Quand les huées submergèrent ses paroles, il ouvrit grand sa seule main libre et d’un geste doux, il apaisa la foule.

- Certes, nous avons été… Certes nous sommes… Mais cela suffit ! Car c’est notre laisser-faire qui nous a fait reculer. Et ce laisser-faire, allons-nous laisser…le laisser faire ça ?
- NON !!
- Et bien…Remémorons-nous la bataille de nos aïeux ! Remémorons-nous leurs gigantesques courges… Non, leur gigantesque courage ! Ce fameux jour où ils se défendirent. Vaillamment !
- OUI !! VAILLAMMENT !!
- Et où, blessés dans leur fierté… Ils se battirent contre l’Ennemi, supérieur en nombre et en armement ! Ce jour-là, où ils reprirent la distillerie ! Alors faisons-leur honneur, et foutons ces vandales dehors !

Tremblant, et pas seulement d’émotion, sous les acclamations, il se rassit puis descendit de la table. Rejoignant les siens puis se plaçant à leur tête, tous chargèrent en direction de l’escalier. Renversant tables et chaises sur leur passage, ils martelèrent le plancher au pas de course. Le comble du vacarme eut lieu au moment où la petite armée entama la descente des marches.

Tels les moutons de Panurge, au moment où les premiers freinèrent devant l’obstacle, les suivants les y précipitèrent de plus belle. Roulant les uns sur les autres, les corps amortirent des uns les chutes des autres. Portant tous leurs fameux ponchos bleus, ils s’écoulèrent en colimaçon tel un torrent de chair et de tissu. Dans un déluge de cris et de cognements, ils firent le vide autour d’eux une fois arrivés en bas.

Imperturbable, « DEAD » n’avait cessé d’agiter la salle de sa musique brutale. Quant à la masse de chevelus, séparant l’armée de son but, elle n’avait nullement prêté attention à ce nouveau boucan et gardait son attention sur la généreuse poitrine de la diva. Quand la moitié de la troupe eut fini de se relever, son chef de guerre s’avança à sa tête. Pressés d’en découdre avec cette jeunesse décadente, ils fixèrent leur objectif : la scène, sur laquelle la cantatrice vociférait ses paroles.

Quand les rangs serrés des soldats se formèrent, les dernières notes de musique s’étouffèrent contre les parois de la pièce, laissant place à un silence fort pesant. D’un côté le cuir et les crinières barraient le passage à la scène. Les trois musiciens descendirent rejoindre leur public, abandonnant la chanteuse. De l’autre, la discipline titubante de la garde royale et les uniformes bleus. Les uns et les autres se fixaient dans les yeux, à la recherche de la moindre provocation, de la moindre faiblesse.

Vu qu’aucun des deux camps ne baissait les yeux, les soldats entamèrent une démonstration de force, ils tapèrent des pieds sur le sol. Quand ils cessèrent, leurs ennemis firent de même, pour leur prouver qu’ils étaient au moins aussi nombreux.

- ALCOOL POUR TOUS !!
- MORT AUX ENNEMIS DU METAL !!

Dans ces cris de guerre féroces, ils foncèrent vaillamment les uns vers les autres, martelant le sol de leurs pas. Dans un choc terrible, les premiers rangs se renversèrent les uns contre les autres. Submergés par la brutalité de l’assaut, ceux qui avaient chuté se relevèrent rapidement. Se jetant les uns sur les autres sans la moindre tactique, soldats et métalleux s’échangeaient coups et baffes. De temps en temps certains chevelus prirent à part un soldat affaibli pour lui infliger une sévère correction quand quelques militaires flanquèrent au sol un fan un peu gringalet pour le rouer de coups.

Désormais mélangés les uns aux autres, chaque homme cherchait un adversaire à sa taille, comme si la bataille générale avait laissé place à une série de duels, sans cesse interrompus par l’arrivée d’un nouveau protagoniste, d’un camp ou de l’autre. Dans ce chaos, la fine Gladys, faisant le vide autour d’elle, s’acharnait sur un soldat ayant fait l’erreur de la reconnaître. Le trio de musiciens, ayant perdu la raison, ravageait le visage de quiconque se présentant à eux, ennemi ou non.

Si les simples soldats avaient des difficultés, il n’en était rien des anciens champions de picole. Ces derniers titubaient tant qu’ils esquivaient les coups sans s’en rendre compte. Leurs frappes imprécises, lancées dans élans entraînant leurs corps complets, atteignaient toujours une cible, n'importe laquelle. Alfred quant à lui, zigzaguait la tête haute en direction de l’estrade, aucun de ses ennemis ne cherchant à l’en empêcher car la tradition ne tolérait que seul un chef de guerre puisse en affronter un autre.

Se hissant péniblement sur l’estrade, Alfred posa un regard fier sur cet océan de corps et de baffes. Quelle que serait l'issue du combat, cette bataille ferait sans nul doute la fierté de ses prédécesseurs.

Une inspiration profonde, suivie d'un hoquet et il se mit en garde face à cette reine maléfique du bal. Ses poings enserraient sa taille et ses grands yeux noirs, remplis de haine, le fixaient... Alfred « Mille Litrons » vs. Gothika Ben Heffis. Jusqu'à ce qu'elle lui saute dessus, tel un félin. Avec ses ongles acérés, elle lui griffa le torse et le visage une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… Quand soudain, il lui rota bruyamment au visage. B-B-Briseur d'enchaînement ! Sonnée par le choc, elle souffrit aussi d’un haut-le-cœur. Reculant de quelques pas, elle se plia en deux puis mit sa main à la bouche.

Profitant de l’instant de faiblesse, le champion entama un mouvement de balancier avec son bras. Quand son poing percuta violemment le visage de la chanteuse, frappe critique, les pieds de celle-ci décollèrent du sol. Comme une étoile filante, sa tête sonnée guida la trajectoire, ses bras ballants accompagnèrent le mouvement et sa jupe flotta un court instant dans les airs. Puis, comme une météorite, elle s’écrasa de tout son corps sur la batterie, renversant tambours et cymbales autour d’elle.

Alfred, se demandant si cette seule frappe eut suffi à mettre un terme au combat contre son ennemie, s’approcha prudemment. Non, visiblement, cela n’avait pas suffi. Malgré sa colonne endolorie, elle se releva, s’aidant de la grosse caisse renversée. Tandis qu’elle se redressait, elle se massa un peu la mâchoire, histoire de vérifier si cette dernière était toujours là. Une fois debout, usant d'un sort inconnu, elle semblait se dédoubler sur l'estrade. Il fallait en finir avec elle.

Oh merde, il charge !

Gothika eut juste le temps de s’écarter. Quand son adversaire passa tout près d’elle, elle joua de ses ongles pour lui lacérer le visage. La douleur stoppa net Alfred. A nouveau, elle griffa tour à tour le torse et le visage, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois et envoya un pied vengeur dans son entrejambe. Pas mal ! Enchaînement de 5 frappes ! Il n’eut même pas le temps de s’écrouler ou d’hurler sa douleur, une main agrippa sa tête par l’oreille tandis qu’une autre lui asséna une gifle qui siffla dans l’air. Le soldat tourna sur lui-même plusieurs fois, pour finalement tomber de l’estrade, la tête la première. Sortie d’arène !

La chute interrompit le cours des évènements.

Chaque protagoniste se regroupait autour de son héros. En bas, les soldats se tenaient à une distance respectueuse pour honorer leur chef gisant, terrorisés à l’idée de faire du bouche-à-bouche à cette outre à vinaigre. Sur l’estrade, les membres du groupe soutenaient leur diva et tenaient les fans à une distance toute aussi respectueuse, sous peine de représailles.

***

- Écartez-vous ! Allez, écartez-vous maintenant !

Le raffut ayant cessé, il était temps pour le patron de reprendre le contrôle de la situation. Ses larges bras repoussaient de part et d’autres les soldats encore hébétés. A part des bris de verre et du mobilier abîmé, il n’y avait rien de grave à déplorer. Le personnel de service se chargerait de ça. Pourvu qu’il n’y avait pas de…

- Nom d’une bière émoussée ! Ca finira par me retomber dessus, ces conneries !

S’agenouillant auprès de son meilleur client, il tentait vainement de le ranimer en lui débouchonnant une bouteille sous le nez.

- Qu’est ce qui s’est passé, au juste ?
- C’est de leur faute ! C’est de leur faute à eux ! C’était un super concert et ces crétins sont venus tout gâcher !

D’une voix de crécerelle, pointant les soldats d’un doigt accusateur, Gladys fit tomber sa grossière cape en coton, dévoilant à tous son visage fin et pâle, traversé par une longue mèche bleue ciel. Les soldats, les musiciens, les spectateurs, le barman en eurent le souffle coupé. Quand la Princesse était en colère, des têtes pouvaient très vite tomber.

Une vulgaire baston de bistro était une chose. Une bataille rangée, occasionnant des victimes et impliquant l’héritière des Forteroche, dans son établissement en était carrément une autre. En homme de bonne volonté qu’il était, le brave Fred entama immédiatement les pourparlers.

- Que puis-je faire pour son Altesse ?
- J’ordonne que tous les soldats de ma mère s’en aillent et ne fichent plus jamais les pieds ici !
- Son Altesse sait-elle que les hommes de Sa Majesté font partie des clients les plus fidèles à l’établissement ?
- Je m’en fiche bien ! Je veux qu’ils déguerpissent et je ne veux plus revoir le moindre bon à rien en bleu ici ! Sinon, je raconte tout à ma mère et elle fera fermer ce taudis. T’as compris ?

Bien qu’habitué à négocier, la simple évocation d’une menace de fermeture mit fin à toute opposition.

- Vous avez entendu, bande de nazes ? L’héritière du clan Forteroche a parlé. Alors vous filez et vous emmenez votre détritus de collègue avec vous.

Ramassant péniblement leurs collègues, nombreux soldats maugréèrent quelques propos dont « sale traître » et « espèce de vendu », en prenant soin à ce qu’aucune de leurs insultes ne puisse concerner les oreilles de la Princesse. Sur leur passage, quelques-uns bousculèrent du mobilier.

- Son Altesse a-t-elle d’autres désirs ?
- Ouais, j’en ai plein. D’abord, je veux plus que cet endroit porte son nom pourri : Je veux qu’il s’appelle « L’Enklume » ! Ensuite, je veux que la déco soit refaite. Je veux des grosses épées sur les murs, des chaînes et des trucs virils.
- Des chaînes et des trucs virils, je note…
- Et puis, je veux des concerts tous les soirs. Et puis, je veux qu’on serve rien d’autre que des plats d’hommes à table : des gros steaks bien saignants et des patates qui croustillent. Plus de petits mets fins pour les précieuses !
- Des concerts et des steaks, très bien…

Cela demanderait sans doute un lourd investissement, mais il fallait saisir l’occasion. Avec le simple appui de la descendante, ce petit bistro-restaurant hétéroclite pouvait vite devenir le lieu de pèlerinage d’une partie de la jeunesse jusqu’aux frontières du royaume et au-delà. Peut-être même ferait-il la comédie, lui expliquant combien le mois a été difficile et lui demandant de mettre un peu la main à la poche ?

Mais pas tout de suite et le propos se devait d’être amené habilement.

- Et tout cela pour quand ?
- Demain ! Et que ça saute !
Oups...
***

Tandis qu’on le portait à bout de bras hors des lieux, Alfred parvint à l’entrée d’un long tunnel, sans fin. Avançant en titubant, il se heurta contre les parois de lumière. Sur son chemin, il croisa quelques charmants verres à vin hauts comme des hommes, dansant sur un air de violon. Le guerrier engagea la conversation avec un verre, pas de réponse.

Quelques pas plus tard, la plupart d’entre eux se mouvaient joyeusement et étaient pleins à ras bord, mais d’autres avaient une allure plus nonchalante et étaient vides. Quelques bouteilles accoururent auprès de leurs favoris pour réparer cette erreur puis elles entamèrent une ronde autour d’Alfred. Tous les trois pas, les verres se remplissaient, les bouteilles se vidaient et ensemble, ils tintaient. Alfred embrassa l’une d’entre elles. C’était lisse et froid.

Malgré la luminosité persistante, il avança encore. Le héros solitaire semblait en quête d’un savoir mystique ou du bistro le plus proche. Puis tout devint noir.

«Il a combattu bravement au nom de ce qui nous est le plus cher. Alfred Litron est mort en héros».

L’écran bleuâtre de sa montre afficha deux zéros puis s’éteignit. Tandis qu’un collègue lui ferma les deux yeux, sa bouche esquissait un sourire.

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